Le 18e siècle voit l’achèvement d’un processus entamé en 1648 : l’intégration politique et administrative de l’Alsace au royaume de France, au même titre que d’autres provinces. C’est ce que laisse entendre la carte de Louis-Charles Desnos (1722-1805), "ingénieur-géographe pour les globes et sphères", à la fois cartographe, fabricant de globes terrestres et éditeur d’atlas. La carte du "gouvernement et généralité d’Alsace" est ainsi issue d’un Atlas de France divisée en ses gouvernemens militaires et en ses généralités initialement publiée en 1765 et comprenant seize cartes couvrant les provinces de France, ses 40 gouvernements (divisions militaires) et 33 généralités (circonscriptions financières). S’y ajoutent une carte de tout le royaume et un plan de la région parisienne.
En dépit du choix du titre et du graphisme des cartes, qui met l’accent sur le découpage administratif de la France du 18e siècle, l’atlas est à destination explicite des commerçants et des voyageurs. Desnos se fait à cette époque une spécialité, outre les globes, de la production de cartes et atlas d’itinéraires, et la carte de l’Alsace est loin de refléter toute la complexité territoriale, administrative et politique de la province elle-même.
Orientée le sud à droite pour des questions de formats, la carte montre la région du Rhin supérieur, de Bâle à Philippsbourg, séparée par le fleuve lui-même, avec un graphisme classique pour cette deuxième moitié du 18e siècle. Les localités les plus modestes sont montrées par des points, les plus importantes par quelques bâtiments, tandis que pour les places fortes de part et d’autre du Rhin, Desnos a dessiné la morphologie des fortifications bastionnées, à l’instar de ce que font par exemple les Cassini qui éditent leur carte de France depuis 1756. Aux routes chères au cœur du cartographe s’ajoutent quelques éléments du paysage : le Rhin et l’Ill avec leurs cours en tresses parsemés d’îles et de chenaux contrastent avec les autres cours d’eau, simples lignes s’épaississant de leur source à leur confluence. Le relief est figuré par des hachures indiquant le sens de la pente dans les principales vallées, et complété par des montagnes de profil. Les forêts apportent l’une des rares touches de couleur, colorées en vert (on parle alors de carte "lavée").
La version présentée ici est une réédition datant de 1771, tirée à part et encadrée d’une bordure décorative ornée d’attributs royaux et martiaux. A l’inverse de la carte de 1765, elle est augmentée d’une description imprimée et collée sur la carte originale, présentant les caractéristiques politiques, administratives et historiques de la province. Le texte nuance ainsi l’apparente simplicité politique de la carte en insistant sur l’hétérogénéité des territoires qui composent l’Alsace. Celle-ci contraste finalement avec la cohérence territoriale dessinée par Desnos, qui propose un territoire lavé et bordé de rouge, repassant sur une frontière linéaire qui traverse les Vosges et court au milieu du Rhin. Il est vrai que depuis le traité de Ryswick, celui-ci sert de facto de limite entre la France et l’Empire. Ces quelques lignes en pointillés masquent des réalités territoriales et politiques complexes, comme l’autonomie de Mulhouse alors alliée aux Suisses ou le cas particulier de Landau, ville française entourée de terres palatines dont la souveraineté est d’ailleurs discutée, voire disputée. On les distingue bien sur la carte, mais l’absence de légende limite la compréhension de ces pointillés autour des deux villes, d’autant que d’autres divisions apparaissent : le Val d’Argent, avec Sainte-Marie-aux-Mines, est entouré d’une frontière aussi épaisse que l’Alsace elle-même, reflet probable de son statut particulier, partagé entre cette province et la Lorraine. Des traits plus fins séparent la Haute et la Basse Alsace au nord de Sélestat (une autre erreur quand la limite reconnue est celle du Landgraben, un peu plus au sud) et la Haute-Alsace du Sundgau. La carte n’inclut pas la partie méridionale de la province. Desnos s’épargne ainsi le défi de fixer une limite au bailliage de Delle, qui s’étend de manière éclatée jusqu’à quelques communautés le long du Doubs. A cette représentation simplifiée s’ajoute d’ailleurs un abus de langage dans le titre, auquel bien d’autres que Desnos ont cédé : si pendant l’Ancien Régime, l’intendant, chargé de questions de police, justice et finances, exerçait parfois son pouvoir sur une généralité, ce n’était pas le cas de l’Alsace : il aurait fallu parler de "gouvernement et intendance d’Alsace".
Titre : Gouvernement, et Généralité d'Alsace avec les Grandes Routes
Auteur : Benjamin Furst
Date d'édition : 1771
Lieu de conservation : Learning Center de l'université de Haute-Alsace - BUSIM, C 424