Exposition des arts rétrospectifs, Société Industrielle de Mulhouse, mai 1883 AD Braun & Cie, Dornach (Alsace)

Ce portefeuille en toile enduite rouge, marquée à l’or au fer, contient 28 planches – des tirages au charbon contrecollés sur des cartons gris (format : 55 × 44 cm). Chaque planche reprend les mentions de la couverture et est légendée. Pièce exceptionnelle et unique, il reflète la culture d’autocélébration très marquée de la Société Industrielle de Mulhouse.

Document muséographique rare, il permet de reconstituer l’essentiel de l’agencement d’une exposition temporaire de 1 500 m², inspirée des modèles de l’Exposition rétrospective de l’exposition universelle de Paris (1878) et de l’emblématique Art Treasures of the United Kingdom (Manchester, 1857). Elle accompagne l’inauguration du « Nouveau Musée » de Mulhouse. Ce bâtiment remarquable, parmi les constructions muséographiques de l’Est de la France (alors intégré à l’Empire allemand), est édifié par la Société pour magnifier les collections historiques, techniques et artistiques saisies ou constituées par ses comités. La manifestation, qui jouit d’une notoriété inédite, est l’un des événements culturels majeurs du siècle pour Mulhouse. Comme l’exposition de Paris elle signe le relèvement après la défaite de 1870.

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Manuscrits enluminés des 16e et 17e siècles
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Tapisserie de Haute Lisse
Tapisserie de Haute Lisse
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verre émaillé
Verre émaillé
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Statuette en albâtre
Statuette en albâtre
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Vue d'ensemble
Vue d'ensemble
Une rétrospective du patrimoine rhénan (16ᵉ–18ᵉ siècles)

Elle se présente comme un assemblage décoratif d’objets et d’ensembles mobiliers issus de collections privées alsaciennes et de musées locaux comme celui de Colmar. Elle illustre à la fois :

  • Le goût mondain de la bourgeoisie d’affaires occidentale,
  • Les choix identitaires locaux, puisés dans une vieille culture bourgeoise urbaine et germanique, mais aussi influencés par l’image du siècle d’or hollandais. 
  • Elle révèle par ailleurs le pouvoir d’achat sans limites de la classe dirigeante de l’industrie textile, à une époque qui ne connaît pas encore l’impôt sur le revenu.
Une muséographie d’atmosphère

La scénographie recrée des ambiances domestiques qui, bien que critiquées par Alfred Darcel, futur conservateur du musée de Cluny (La Chronique des arts et de la curiosité, 7 – 07 – 1883, pp. 190 - 193), servira de modèle aux musées alsaciens. Ainsi, la rénovation du musée d’Unterlinden s’en inspire dès cette période, tout comme la création du musée alsacien quelques années plus tard.
Ce parti pris historiciste, voire antimoderne, influence durablement :

  • Les artistes contemporains, dont les œuvres doivent s’intégrer à ces ensembles très denses et connotés.
  • L’architecture civile qui sert d’écrin à ce collectionnisme boulimique et dont l’imposant quartier mulhousien sur les berges est du canal du Rhône au Rhin est un exemple aussi sévère que fastueux.
  • La production textile mulhousienne, comme en témoignent les éditions mondiales des modèles de broderie de la Maison de Dillmont (créée peu après par Dollfus-Mieg & Cie et présentée au Salon de peinture de Mulhouse en 1886).
Des collectionneurs alsaciens à la renommée internationale

Des 150 prêteurs de l’exposition émergent des figures de « haute curiosité », comme l’on dit alors, tel Frédéric Engel-Dollfus, Armand Weiss, Joseph Coudre ou Georges Spetz. La collection formée par ce dernier à partir du patrimoine local entame un parcours vers une renommée internationale tristement conclu par une dispersion en salles des ventes (à New-York en 1925) comme le seront la plupart des pièces privées de l’exposition rétrospective. 
Cette concentration d’objets de valeur trace aussi la voie à des collectionneurs célèbres comme Frédéric Engel-Gros et sans doute Raymond Koechlin (futur Président de la puissante société des Amis du Louvre) permettant à plusieurs observateurs influents de considérer Mulhouse comme une ville de collectionneurs. 

Auteur : Benoit Bruant (CRESAT – UHA)

Pour aller plus loin :

  • Exposition des arts rétrospectifs : mai 1883 : catalogue / Société industrielle de Mulhouse, Mulhouse : Bader et Cie, 1883, Cote BUSIM - Reserve A 2624
  • Albert Boime, Les hommes d’affaires et les arts en France au 19ème siècle, Actes de la recherche en sciences sociales, Vol.28, juin 1979, pp.57 – 75, disponible en ligne, consulté le 1 décembre 2025.
  • Benoit Bruant, Muséographies modèles et modèles de muséographies, in Cuisenier, Jean (Dir.). L’œuvre en multiple, La documentation française, pp.299 - 319, 1992,disponible en ligne, consulté le 1 décembre 2025.
  • Benoit Bruant, La muséographie à la conquête de la troisième dimension exemple de l’Alsace 1850-1950, Revue d’Alsace, 1997, p.241-252, disponible en ligne, consulté le 1 décembre 2025.