Le petit livre de la Sagesse éternelle, Henri Suso, 15ᵉ siècle

Heinrich Seuse (1235-1366), Suso si on latinise son patronyme, était un Dominicain originaire de la région de Constance, mais qui vécut entre autres à Strasbourg.
Il compte parmi les principales figures de la « mystique rhénane » et ses œuvres se sont diffusées dans toute l’Europe rhénane dans le sillage de cette pensée religieuse : celle de Maître Eckhart, de Jean Tauler et des autres.
Servant à la dévotion privée, ces manuscrits avaient parfois un format très réduit (celui-ci compte vingt-neuf feuillets de petite taille : 136 x 100 mm).
Nous avons ici un ensemble de quatre chapitres du Petit livre de la Sagesse éternelle, une des œuvres les plus connues de l’auteur. Ces copies d’extraits circulaient dans les milieux dévots et servaient à la méditation.

Écrit sur papier avec simplicité dans une graphie appelée bâtarde, cette copie est d’apparence modeste mais elle comporte tout de même des lettrines de couleur, et de discrets traits d’argent devenus désormais presque invisibles, sur certains caractères, en guise de ponctuation. Le travail est celui de professionnels mais le rendu est volontairement simple et sans ostentation. Cette copie est datable de l’époque des incunables (seconde moitié du 15e siècle).  

La langue est alémanique et privée d’abréviations. C’est un langage naturel, consubstantiel de la vie réelle des lecteurs. Le manuscrit pourrait avoir été produit pour un public bavarois ou autrichien, d’après des critères linguistiques.

Cette œuvre a aussi fait partie durant quelques années d’une collection de livres ésotériques à Amsterdam, la Bibliotheca Philosophica Hermetica, de Joost R. Ritman, dont il garde l’ex-libris.

Le propos est un dialogue entre la figure du « serviteur », qui représente Henri Suso, et la figure de la Sagesse éternelle, tantôt maternelle, tantôt christique. Il s’agit de cent méditations sur la Passion et sur la mort, une sorte d’itinéraire à suivre à travers les souffrances pour atteindre la déité. Cette itinérance symbolique vers la sagesse rappelle effectivement certaines doctrines ésotériques. 

La Bnu conserve un corpus très important de manuscrits en lien avec la Mystique rhénane. Le célèbre Exemplar des œuvres de Suso en fait partie, manuscrit qui échappa à l’incendie de 1870 presque par miracle (il était déposé ailleurs pour étude approfondie au moment de cette tragédie). La Bnu a donc tenu à acquérir cette nouvelle pièce en 2007, fort intéressante, à ajouter à ce dossier ô combien emblématique pour la capitale alsacienne.   

 

Aude Therstappen

Document présenté : 

Henri Suso, Büchlein der ewigen Weisheit, (chapitre 14 à 17), conservé à la Bnu, MS.7.038.

Pour aller plus loin :

Sur le manuscrit, voir Daniel Bornemann, "Un manuscrit d’Henri Suso", La Revue de la BNU, Varia 11, 2015, p. 94-95. Disponible en ligne : <https://journals.openedition.org/rbnu/2983>, consulté le 15-04-2024.

Sur l'auteur, voir Jean Borella, Lumières de la théologie mystique, L'Âge d'homme, 2002, en particulier le chapitre consacré à Henri Suso, « Henri Suso et le mystère de l'Autre », Alain de Libera, Eckhart, Suso, Tauler ou la divinisation de l'homme, Paris, Bayard, 1996 ou encore Marie-Anne Vannier (dir), Mystique rhénane et Devotio moderna, Paris, Beauchesne, 2017.