Le Kunschthaafe (1896-1909) : d’un « Stammtisch* » peu ordinaire à la renaissance culturelle alsacienne

Le « Kunschthafe » ! Ou encore orthographié de la manière suivante « Kunschthaafe », « Kunst-Haafe » ou encore « Kunsthãfe » parmi d’autres écritures désigne un terme dialectal alsacien traduisible par « pot d’art » ou « pot des arts ».

Mais c’est encore à l’un des membres fondateurs de ce cercle d’artistes, Gustave Stoskopf (1869-1944) artiste-peintre et dramaturge alsacien, que revient la meilleure interprétation de l’âme de ce cercle artistique :


(*) Stammtisch : ce terme désigne à la fois la table des habitués dans un café ou un restaurant, et le groupe d’amis qui s’y réunit régulièrement.

« C’est une expression difficile à traduire, mais très parlante en dialecte, entière et dense, ou le terme Kunscht (art) est associé gastronomiquement au vocable Hãfe (le fait-tout). La formule très réductrice, et pourtant très envoûtante « marmite de l’art » suggère la marmite éternelle, ce fait-tout qui, ni jour ni nuit, ne quittait le feu. À chaque fois qu’était prélevé un aliment « à point », il était remplacé par un autre « à cuire » ; à chaque prélèvement de bouillon correspondait le rajout de la même quantité d’eau et d’ingrédients nécessaires.

Ainsi les aliments disponibles étaient-ils en quantité constante, se bonifiant les uns au contact des autres, les derniers bénéficiant des qualités des précédents… Les repas préparés (dans et autour de la marmite) sont métaphoriquement le support idéal au brassage des idées, le lieu d’échanges privilégiés et de communion sacrée. »

Témoin de la renaissance culturelle alsacienne, Strasbourg est entre 1890 et 1914 en pleine effervescence après un vide culturel de plus de vingt ans. L’annexion par l’Allemagne de l’Alsace-Moselle en 1871 avait provoqué l’exil de la précédente génération d’artistes et d’intellectuels. La croissance industrielle, l’ascension technologique et la modernisation de la société contribuèrent également à la vitalité du mouvement artistique alsacien.

Dès lors, reconnu mécène et amphitryon réputé, Auguste Michel recevait régulièrement dans sa demeure du Schlœssel un cercle d’artistes hétéroclites (écrivains, peintres, musiciens, intellectuels, industriels et autres personnalités d’Alsace (allemande) et de France…) leur offrant banquets et dîners gourmands et fastueux. 

Au cours de ces 35 réunions, 35 fabuleux repas, se discutaient les grands problèmes culturels qui sont à l’origine du renouveau alsacien au début des années 1900. 
Ces débats inspirent notamment la création de la Revue Alsacienne illustrée dès 1898 et l’apparition d’un théâtre dialectal alsacien révélé par la pièce de théâtre de Gustave Stoskopf jouée en 1898, « D’r Herr Maire ».
Dans cette entreprise, le cercle a par ailleurs insufflé la conception et l’apparition d’un Salon des Arts en 1897 et 1903, de la Maison d’art alsacienne en 1905 et du Musée Alsacien dès 1907, ancré à la ville de Strasbourg et toujours actif à notre époque.

En pleine occupation allemande, ces agapes étaient donc l’occasion de parler art, culture, politique et, à chaque occasion, Auguste Michel confiait à un artiste l’illustration du menu suivant. Les menus composés par celui-ci pour les réunions du Kunschthaafe, eux-mêmes des œuvres d’art, s’illustraient des talents des artistes membres du cercle tels que Léo Schnug, Joseph Sattler, Léon Hornecker et d’autres semblables.
Chaque artiste s’exprimait ainsi librement, s’identifiant par son empreinte artistique et sa virtuosité propre lorsque seul l’élément de la marmite symbolique se répétait.
Véritables hommages à l’histoire du Kunschthaafe, ces menus illustrent autant la richesse des dîners que l’abondance créative culturelle et artistique du cercle, fruit de l’état d’esprit de ces rencontres.

Lieu de discussion, de rencontres et d’amitié, le Kunschthaafe prend part à une succession d’œuvres de l’esprit et de réalisations artistiques qui demeurent encore de nos jours. 
L’héritage de ces célèbres rencontres a de fait marqué l’histoire locale. Le Kunschthaafe de Schiltigheim s’inscrit tel un monument de l’histoire culturelle de l’Alsace du début du XXe siècle.


Anne-Sophie CHIFFLOT
Assistante de collections Iconographie 
Médiatrice documentaire des collections iconographiques patrimoniales

Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg